La Guadeloupe vue par Jules, lycéen en classe de Première (Sophie Gaujal)

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juillet 18th, 2013
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Cette carte est extraite d’un corpus de trente cartes réalisées par des élèves de Première au cours d’une évaluation et réunies par Sophie Gaujal dans le cadre d’une recherche-action. Enseignante dans un lycée de la banlieue parisienne, Sophie Gaujal mène parallèlement une recherche didactique sur les relations entre géographie et art à l’école (doctorat à Paris VII, équipe EHGO). Elle propose ici un exemple d’un usage scolaire de la carte sensible. 

La consigne donnée aux élèves était la suivante : produire une carte postale, répondant à la question : « la Guadeloupe, une île paradisiaque ? » ; au recto, une carte « sensible », préalablement définie comme une carte autorisant le recours au dessin et à une nomenclature imaginaire ; au verso, un texte adressé à l’interlocuteur de son choix et décrivant la Guadeloupe. Les élèves disposaient d’une heure.

Face à cet exercice en apparence ludique, en réalité complexe et déroutant, différentes stratégies ont été retenues par les élèves. La plus courante a consisté à adopter le point de vue d’un touriste. La vision idyllique semble alors s’imposer, comme pour Céline qui écrit à ses parents : « la Guadeloupe est un pays magnifique, presque paradisiaque ». La carte, ornée de palmiers, d’un bateau, d’un soleil dardant ses rayons sur l’ensemble de l’île, et d’un volcan fumant qui ajoute au pittoresque, accompagne cette vision idyllique. D’autres présentent une vision plus nuancée, ternie par une mauvaise expérience, une mauvaise rencontre. Le regard peut aussi se faire plus distancié, et la vision plus complexe. Ainsi Jules, l’auteur de la carte postale présentée ici, choisit d’associer deux modes de représentation graphique, une vue du ciel, qui présente le littoral de la Guadeloupe, de l’aéroport de Pointe-à-Pitre jusqu’à la station balnéaire du Gosier, et une vue de face, dans la partie inférieure de la carte, qui représente une plage tropicale. Ce choix formel apporte une réponse dialectique à la question posée : par la vue de face, illustrée par des palmiers, du sable, la mer, il signifie le point de vue du touriste. Par la vue aérienne, conforme à une projection cartographique, il adopte un point de vue critique, celui du citoyen, et il présente l’envers du décor, une Guadeloupe soumise à des risques et des nuisances multiples : atteinte à l’environnement causée par la pollution sonore de l’aéroport, ou par la déchetterie installée dans un milieu fragile et protégé, la mangrove, insécurité liée à des zones de relégation urbaine, coincées entre les grands axes, l’aéroport, les usines et la déchèterie, ou encore la progression tentaculaire de la ville, grignotant sans cesse les terrains agricoles. Des moyens graphiques et la nomenclature mettent ces idées en évidence : « le quartier du crime », le « vrooom » des avions ou encore le dessin d’une machine à laver et de boîtes de conserve abandonnées au milieu de la mangrove. Des dynamiques et des conflits d’acteurs sont associées : dynamique de protection du littoral contrariée par l’inéluctable extension urbaine (« mangrove protégée ou presque »), dynamique de rénovation urbaine et son lot de démolition (« quartier de la démolition et du renouveau »), axes partagés par les riverains qui en subissent les nuisances et les touristes qui en apprécient l’efficacité  (la route vers le Gosier est celle « des touristes et des révoltes »). Le texte de la carte postale entretient une relation dialogique avec la carte : adressée au président de la République, elle est l’interpellation d’un citoyen à un acteur placé au plus haut sommet de l’Etat, le président de la République, pour lui faire part des paradoxes de ce territoire ultramarin et le sommer d’agir.

Comme le reste de la classe, Jules ne connaissait pas la Guadeloupe ; il n’y est jamais allé. Sa carte postale a été construite à l’aide des connaissances apportées par le cours. Celui-ci s’est découpé en trois temps : le premier a permis de recueillir les représentations que les élèves se faisaient de ce territoire, perçu comme une île lointaine et paradisiaque. Dans un deuxième temps, un voyage virtuel a été proposé aux élèves. Divisés en groupe, les élèves se sont vus confier différentes missions : réserver l’hôtel et l’avion, choisir le lieu de villégiature, organiser des activités comme la visite d’une bananeraie ou de l’observatoire volcanologique, ou encore la visite de Pointe-à-Pitre, de son centre-ville et de ses quartiers défavorisés. À l’aide d’internet et du support de cartes IGN, les élèves ont ainsi calculé les avantages comparatifs de tel ou tel trajet, de tel ou tel hôtel et se sont projetés, en tant que touristes, dans cette île tropicale. La restitution collective a alors été l’occasion de confronter cette expérience virtuelle avec les notions élaborées au cours de l’année, autour des chapitres sur les flux, les milieux naturels, les activités ou encore les espaces urbains, et d’introduire des notions nouvelles, caractéristiques de ce territoire ultramarin, comme celles de tropicalité ou d’insularité.

À l’issue du cours, l’évaluation avait pour objectif de permettre aux élèves de restituer ces trois temps, à la fois leurs représentations initiales, l’expérience spatiale virtuelle de la Guadeloupe qu’ils avaient vécue et sa mise en intelligibilité par le recours aux outils et aux concepts de la géographie. Le format de la carte postale est apparu comme un moyen de répondre à cet objectif : associant production graphique au recto et texte explicatif au verso, la carte postale peut s’apparenter à un croquis de synthèse, exercice classique de la géographie scolaire. Autorisant le dessin, des nomenclatures éventuellement imaginaires, et un texte sous forme de récit, elle permet de s’affranchir des conventions imposées par le croquis de synthèse, et de son discours réaliste et surplombant. Elle s’apparente alors à une carte sensible.

On peut relever dans le devoir de Jules une part de naïveté et d’approximation. Cela reste un travail d’élève, sommé de restituer, à un instant T de son processus d’apprentissage, la complexité d’un territoire dans lequel il n’a réalisé qu’un voyage virtuel. Cela n’en demeure pas moins une réponse nuancée qui permet à cet élève de croiser ses représentations initiales sur ce territoire ultramarin – une île paradisiaque -, l’expérience acquise au cours de son voyage virtuel, et les notions mobilisées au cours de la restitution collective. L’usage scolaire de la carte sensible, à l’intersection entre géographie spontanée et géographie raisonnée, entre expérience spatiale – réelle ou imaginaire – et mise en intelligibilité de l’espace à l’aide d’outils et de notions spécifiques à la géographie, apparaît alors pertinent.

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